Christine Blanloeil
Associée - Expert-comptable - Commissaire aux comptes - Référent ESS & Mécénat, Philanthropie - Nantes
Le mécénat est un engagement libre de l’entreprise au service de causes d’intérêt général. Le mécénat de compétences en est une des composantes. Différentes notions sont à identifier pour bien comprendre ce dispositif.
Une des possibilités offertes à une entreprise mécène consiste à apporter, non pas des financements en numéraire, mais des moyens (produits ou services) à la cause qu’elle entend soutenir. Il s’agit ici d’un « mécénat en nature ou de compétences ». Le mécénat en nature consiste à mettre gratuitement à la disposition d’un porteur de projet des locaux, des biens inscrits sur le registre des immobilisations, des prestations de services ou des biens produits par l’entreprise. Le mécénat de compétences, forme particulière de mécénat, repose sur la mise à disposition gratuite de compétences de l’entreprise vers la structure soutenue, par le biais de salariés volontaires et intervenant sur leur temps de travail (au moins partiellement), sous la forme d’un prêt de main-d’œuvre. Le mécénat de compétences est donc bien une forme de mécénat en nature. Il en est néanmoins une forme à part entière. Le mécénat de compétences se distingue du bénévolat de compétences au regard de quatre critères. Il s’opère à l’initiative de l’entreprise, sur le temps de travail du salarié. Une convention de mise à disposition est conclue entre l’entreprise et la structure bénéficiaire. L’entreprise mécène conserve le lien de subordination sur ses salariés ainsi que sa responsabilité tant civile que pénale à leur égard. Tout comme pour toutes les formes de mécénat, il convient de ne pas confondre le mécénat de compétences et le parrainage. Ces deux notions existent dans le Code général des impôts (CGI) et sont bien différentes. Le mécénat est un acte de philanthropie (art. 238 du CGI) conduit dans l’intérêt indirect de l’entreprise qui donne généralement droit à une réduction d’impôt après réintégration de la charge correspondante. Le parrainage (art. 39-1-7 du CGI) est considéré comme une dépense déductible engagée dans l’intérêt de l’entreprise (comme une dépense de publicité).
Sur le plan juridique, le mécénat de compétences peut prendre la forme :
Comme le souligne la réponse du ministre du Travail, « les entreprises recourant à des mises à disposition gratuites de leurs collaborateurs dans le cadre du mécénat de compétences bénéficient de la sécurité juridique des dispositions de l’article L. 8241-3 du Code du travail. ». Des incertitudes demeurent toutefois, entre autres, au regard des entreprises prêteuses de moins de 5 000 salariés. Une clarification des textes est attendue et demandée par plusieurs députés sur ce dernier point.
Pour l’entreprise mécène, cet acte de philanthropie améliore sa réputation et son image de marque. Il permet d’afficher ses valeurs et d’assurer sa pérennité. Le mécénat de compétences rend palpable la démarche de RSE et rentre dans la politique RH de l’entreprise. Il permet de travailler sa marque employeur (attractivité et rétention des meilleurs profils), de développer la créativité, l’empathie, la capacité à résoudre des problèmes, de gérer la carrière des salariés (éléments de motivation). On constate également la création de liens interservices en se mobilisant sur un objectif commun. Le salarié volontaire concrétise sa volonté d’être utile à la société et développe ses compétences, sa capacité d’adaptation et sa maîtrise de la gestion de projet. Il n’est pas rare de constater qu’à l’issue de la mise à disposition, le salarié poursuive son implication à titre bénévole, voire au sein du conseil d’administration de l’association.
Pour l’entité bénéficiaire, le mécénat de compétences s’intègre dans sa démarche de réflexion sur son projet, permet de diversifier et d’accroître ses ressources. C’est aussi l’occasion de faire connaître le monde associatif et d’acquérir de nouvelles compétences. L’adaptation des méthodes de travail et d’organisation éprouvées par les entreprises conduit à une professionnalisation de la structure associative.
L’association doit clarifier ses besoins. Ces derniers seront en adéquation avec la forme de mécénat de compétences (journée de solidarité, plusieurs journées sur une période donnée, missions ponctuelles, « détachement » d’un salarié). Il faut avoir conscience que ce type d’opération ajoute une typologie de ressources humaines « hybride » à des équipes déjà complexes à manager (salariés, bénévoles, gouvernance). Il exige souvent un temps d’adaptation des équipes : taille de l’association, modèle d’organisation et culture différente du bénéficiaire.
Un mécénat de compétences réussi nécessite pour l’entreprise de choisir un projet ou un organisme d’intérêt général en adéquation avec ses valeurs, son image ou ses métiers. Il implique un temps de cadrage suffisant pour répondre aux objectifs et aux attentes des parties prenantes. Il convient bien évidemment de s’assurer de la motivation et de la capacité d’adaptation des salariés (entretien préalable, appropriation des process internes de l’organisation bénéficiaire).
Les conditions d’accueil des salariés en mécénat de compétences sont à prévoir par l’association :
On notera également quelques règles à respecter :
Janvier 2019 : 16 dirigeants d’entreprises engagés signaient un manifeste, à la suite des résultats du 1er Baromètre du mécénat de compétences.
Un an plus tard, l’association l'Alliance pour le mécénat de compétences est créée et comprend aujourd’hui 22 entreprises, grands groupes et ETI. « Face aux immenses défis sociétaux à relever, les entreprises sont attendues, aux côtés de l’État et de la société civile, pour transformer la cité », souligne Marianne Eshet, présidente de l’Alliance pour le mécénat de compétences. « Le mécénat de compétences, dans ce cadre, s’avère porteur de sens, efficace, et convainc de plus en plus d’entreprises et de salariés. Pour conforter ce succès, l’heure est venue d’intensifier les échanges d’expériences et de pratiques. »
Les entreprises membres de l’Alliance sont Accenture, Groupe ADP, Algoé, Allianz France, Artélia, Groupe Bel, Bpifrance, Eurogroup Consulting, EY, KPMG, La Française des jeux, Groupe La Poste, ManpowerGroup, Orange, PageGroup, PwC, Schneider Electric, Servier, SNCF, Total, Umanis, Vinci.
Les sept engagements pris par les entreprises signataires sont les suivants :
Ce mouvement a publié le 15 janvier 2021 son 2e Baromètre du mécénat de compétences : https://www.ifop.com/publication/2e-edi-tion-du-barometre-de-mecenat-de-compe-tences/
L’expert-comptable peut accompagner les deux parties dans ces opérations de mécénat. Pour l’entreprise, l’aide à la construction d’une politique de mécénat, le choix des modes de mécénat et des structures porteuses de cette politique sont des missions qui peuvent être réalisées par l’expert-comptable. On notera également la mise en place des procédures internes de cette politique : rédaction des conventions et avenant aux contrats de travail, conseils en matière RH et fiscale, organisation des process internes de transmission des informations aux différents services (RH, communication, administratif et comptabilité, comité RSE), évaluation et mesure d’impact de la politique mécénat de l’entreprise. Pour l’association, l’expert-comptable pourra contribuer à la mise en place des outils de suivi de cette forme de mécénat : la convention de mécénat, contrôle des assurances, conseils en matière de responsabilité, outils d’accueil et d’intégration du collaborateur mis à disposition, conseils à l’émission des reçus fiscaux.
En dehors des mises à disposition prévues à l’article L. 8241-3 du Code du travail, le salarié mis à disposition doit donner son accord dans un avenant au contrat de travail précisant le contenu des tâches, les caractéristiques du poste, les lieux et les horaires de travail, et doit retrouver son poste d’origine ou un poste équivalent dans l’entreprise à l’issue de la mise à disposition sans que l’évolution de sa carrière ou de sa rémunération ne soit affectée par la période de mise à disposition
Le comité social et économique est consulté préalablement à la mise en œuvre d’un prêt de main-d’œuvre. La couverture sociale du salarié est inchangée. Le salarié mis à disposition a accès aux installations et moyens de transport collectif, dont bénéficient les salariés du bénéficiaire. Qu’il s’agisse d’une prestation de services ou d’un prêt de main-d’œuvre, l’entreprise mécène conserve le lien de subordination sur ses salariés ainsi que sa responsabilité tant civile que pénale à leur égard. L’entreprise mécène demeure l’employeur du personnel au regard de ses obligations juridiques et sociales. La structure bénéficiaire est, quant à elle, responsable des conditions d’exécution du travail. Le personnel mis à disposition temporairement reste inclus dans l’effectif de l’entreprise d’origine, mais peut être inscrit sur les listes électorales de la structure d’accueil pour les élections du CSE. Les employeurs sont tenus de déclarer le prêt de main-d’œuvre à la caisse d’assurance maladie s’il est de nature à aggraver les risques encourus par le personnel.
Le mécénat de compétences est notamment régi par la loi du 1er août 2003 dite « Aillagon », qui permet aux entreprises de défiscaliser 60 % des salaires chargés des collaborateurs. L’administration fiscale reconnaît au mécénat de compétences les mêmes avantages fiscaux que pour le mécénat en nature : « Peut constituer un don en nature la mise à disposition de personnel au profit d’une association répondant à la condition d’intérêt général et présentant un des caractères prévus à l’article 238 bis du CGI. » Ainsi, une entreprise qui met gratuitement un de ses salariés à la disposition d’une association, quelques heures par semaine, peut bénéficier de la réduction d’impôt prévue à l’article 238 bis précité. Le salarié mis à la disposition d’un organisme répondant aux conditions susvisées devra exercer réellement et effectivement une activité au sein de cet organisme.
Bulletin officiel des impôts (BOI 4 C-2-00, n° 86 du 5 mai 2000, et 4 C-5-04, n° 112 du 13 juillet 2004).
Pour les entreprises, la réduction d’impôt est égale :
Le plafond annuel des dons ouvrant droit à l’avantage fiscal est de 20 000 euros ou de 0,5 ‰ du chiffre d’affaires (HT), lorsque ce dernier montant est plus élevé. Le plafond alternatif antérieurement fixé à 10 000 euros est porté à 20 000 euros depuis la loi de finances pour 2020. Les entreprises peuvent donc, au choix, appliquer le plafond de 20 000 euros ou celui de 0,5 ‰ du chiffre d’affaires lorsque ce dernier montant est plus élevé.
En cas de dépassement de ce plafond, il est possible de reporter l’excédent de réduction d’impôt au titre des cinq exercices suivants. Pour chaque salarié mis à disposition, le coût de revient à retenir dans la base de calcul de la réduction d’impôt est égal à la somme de sa rémunération et des charges sociales y afférentes, dans la limite de trois fois le montant du plafond de la Sécurité sociale mentionné à l’article L. 241-3 du Code de la Sécurité sociale. La valorisation du mécénat en nature ou du mécénat de compétences relève de la responsabilité propre de celui qui effectue le don. L’organisme bénéficiaire n’a pas à justifier de la valeur du service reçu. Dans le cas d’une valorisation erronée, le montant de la réduction d’impôt dont l’entreprise a bénéficié peut être remis en cause, y compris dans l’hypothèse où elle disposerait d’une attestation délivrée par l’organisme donataire.
En application de l’article 257, II-1-1° du CGI, les entreprises assujetties à la TVA doivent procéder à la livraison à soi-même des biens qu’elles prélèvent pour les affecter à des fins autres que leurs besoins ou qu’elles transmettent à titre gratuit. La régularisation s’opère donc par le biais d’une livraison à soi-même, et non d’un reversement de TVA.
Les contreparties constituent un avantage offert par le bénéficiaire au donateur en plus de la réduction d’impôt. La valeur de ces contreparties (présence du logo ou du nom de l’entreprise dans la communication de l’opération mécénée, entrées gratuites, remise de catalogues, mise à disposition d’espaces...) doit demeurer dans une « disproportion marquée » avec le montant du don : il est communément admis un rapport de 1 à 4 entre les montants des contreparties et celui du don, c’est-à-dire que la valeur des contreparties accordées à l’entreprise mécène ne doit pas dépasser 25 % du montant du don.
Bulletin officiel des impôts (BOI 4C-2-00, n° 86 du 5 mai 2000, et 4C-5-04, n° 112 du 13 juillet 2004). Bulletin officiel des impôts (BOI-BIC-RICI-20-30-10-20-20190807).
Pour le mécène, lors de la conclusion de la convention de mécénat, les prestations de services rendus constituent, conformément au PCG, des charges à comptabiliser en fonction de la nature du don réalisé. Le coût des dépenses relatives aux prestations de service sera comptabilisé en charges d’exploitation (compte 6238 « Divers, pourboires, dons courants... ») ou en charges exceptionnelles (compte 6713 « Dons, libéralités ») selon l’analyse de l’entreprise. Pour le bénéficiaire, il convient de prendre en compte la valeur du mécénat de compétences dans les comptes annuels de l’association selon les dispositions du nouveau règlement comptable ANC n° 2018-06 du 5 décembre 2018.
Une contribution volontaire en nature est l’acte par lequel une personne physique ou morale apporte à une entité un travail, des biens ou des services à titre gratuit (article 211-1 du règlement ANC n° 2018-06). Ceci correspond à :
Elles sont valorisées et comptabilisées si les trois conditions suivantes sont remplies : la nature et l’importance des contributions volontaires en nature sont des éléments essentiels à la compréhension de l’activité de l’entité ; l’entité est en mesure de recenser et de valoriser les contributions volontaires en nature ; les contributions volontaires en nature sont comptabilisées dans des comptes de la classe 8, au débit et au crédit, au pied du compte de résultat, dans la rubrique « Contributions volontaires en nature ». Si l’entité décide de ne pas valoriser et de ne pas comptabiliser les contributions volontaires en nature, elle doit justifier cette décision dans l’annexe et donner une information sur leur nature et leur importance.
Source : Article paru dans la Revue Française de comptabilité d’octobre 2021 – N° 557. Dossier spécial Associations & fondations : revuefrancaisedecomptabilite.fr/le-mecenat-de-competences-une-forme-dengagement-encore-meconnue/
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